Spiritualité ?

(paru dans la revue du 3ème millénaire, hiver 2025, sous le titre « se reconstruire... renaître… s’éveiller… » thème de la revue)

 

Témoignage

Avant d’exposer les quelques réflexions qui vont suivre, il me semble important de préciser que je n’ai jamais recherché quoi que ce soit en termes de « spiritualité » dans ma vie et que ce vocable m’a plutôt fait effet de repoussoir. L’« éveil », venu de l’autre bout de la planète, a pu m’inspirer encore plus de méfiance. Si je me permets d’écrire ici, c’est pour témoigner d’une expérience personnelle, absolument inattendue, et que je ne saurais ranger dans aucune case.

 

Je suis né dans un champ de ruines hanté. A la génération de mes arrière-grands-parents, un pogrom a fait disparaître quelques-uns de mes ancêtres ; à la génération de mes grands-parents, les trois-quarts sont partis en fumée dans des camps de concentration. Mes parents ont été abandonnés pendant la dernière guerre mondiale pour être soustraits aux déportations et ont vécu divers épisodes traumatiques pendant cette période. Ils ont été détruits par la violence de leur vécu d’enfant. Ma famille était hantée par les morts laissés sans sépultures ni rituels de deuil et de séparation. J’ai eu une enfance insécure, chaotique, violente du fait d’une mère manifestant des accès psychotiques, d’un père dévitalisé incapable de s’interposer et de me transmettre quoi que ce soit ; j’ai baigné dans la présence des morts et la dépression familiale.

 

J’ai été un jeune homme anxieux, dépressif, sans confiance en son avenir. J’avais bien incorporé la philosophie inconsciente de mon père présente dans chacune de ses adresses à mon égard : « Pas la peine de désirer quoi que ce soit, on peut tout perdre ; demain ne peut qu’être pire qu’aujourd’hui ». Mon économie psychique consistait en une économie de survie, quand bien même je ressentais parfaitement que la survie n’était pas la vie.

 

Animé du désir de passer de l’autre côté du miroir et de rejoindre le monde des vivants, j’ai entrepris une longue analyse qui n’a fait que renforcer mes moyens de défense sans toucher ni aux inscriptions profondes que je percevais inscrites dans la matière même de mon corps, ni aux transmissions morbides familiales et transgénérationnelles. Une rencontre avec un guérisseur sibérien m’a fait changer de cap. Cette expérience a déclenché prospections et expérimentations, ainsi qu’un travail d’appropriation et de conceptualisation. J’ai pu développer une capacité à accéder aux informations qui proviennent de notre histoire et des transmissions familiales, transgénérationnelles et collectives, engrammées dans la matière même du corps, puis dans un même temps, d’alléger le corps de ces inscriptions qui nous figent dans des destins limités et des répétitions morbides. J’ai incorporé ces acquis à ma pratique de psychanalyste et de psychologue clinicien.

 

En effet, c’est en combinant la prise de conscience des déterminismes liés à notre histoire avec un travail sur leurs inscriptions corporelles que l’on obtient les résultats les plus probants. Une intervention strictement « énergétique » sans conscientisation, s’avère limitée dans son effectivité et sa permanence. Une thérapie uniquement verbale permet des prises de conscience mentales sans effets profonds.

 

Couches après couches, j’ai pu libérer mon corps des inscriptions des vécus traumatiques de mon enfance et de celles transmises par les générations qui m‘ont précédées. Par paliers, à chaque dégagement, j’accédais à une sérénité inconnue jusque-là. Les peurs et les angoisses s’estompaient. Et un jour, soudainement, j’ai ressenti une nouvelle énergie que je n’avais jamais perçue en moi ni chez aucun membre de ma famille. Elle s’accompagnait d’un sentiment extrêmement étrange de joie sans cause. Je me suis rendu compte qu’avant cela, je n’avais connu que des éprouvés de satisfaction liés à des accomplissements ou à des relations, mais jamais un affect de joie en soi, non conditionné par une action ou une circonstance. Cela s’est d’abord manifesté par bouffées de quelques heures avant de disparaître. Ces brèves expériences, stupéfiantes pour moi, m’incitaient à poursuivre avec encore plus d’assiduité ma démarche. Enfin, cette sensation s’est inscrite dans la durée et c’est maintenant une toile de fond permanente, plus ou moins intense, qui peut être occultée dans certaines circonstances, mais que je peux retrouver aisément en allant la chercher.

 

Néanmoins, les moments de libération du corps s’accompagnaient souvent d’un ressenti de vide, de dépersonnalisation : je me sentais complètement perdu. Les systèmes de défense qui organisaient ma vie disparus, la construction en mode survie laissait place à un vide très inconfortable. Puis tout se réaménageait tranquillement autour de certaines constantes : ma curiosité intellectuelle et mon goût pour les sciences humaines, ma pratique musicale, les soins que je peux offrir, les relations ; et cela, à chaque étape dans une tranquillité plus grande : moins de tensions, moins de nécessité vitale à m’agiter pour avoir la sensation d’être vivant.

 

Je ne sais qualifier ce cheminement ni le lieu où il m’a mené, mais je ressens désormais une grande paix par rapport à ce que j’ai vécu. J’ai longtemps été en colère contre toute l’humanité, révolté par ce que les humains peuvent infliger à d’autres humains, par ce qu’on subit mes ancêtres, mes parents, et par ce qu’ils m’ont fait vivre. Je n’ai toujours pas gagné une grande confiance en l’humanité ; l’expression « qualités humaines » me laisse toujours perplexe et je me garde bien de l’utiliser compte tenu de ce dont les humains sont capables. Pour autant, je ne ressens plus de colère, simplement un état de conscience aigu de la condition humaine. J’ai fait la paix avec le vécu traumatique de mon enfance. Quand je regarde mon passé et les épreuves subies du point où j’en suis aujourd’hui, il me semble que tout a été source de compréhensions et d’avancées. Cela n’a pas été un long fleuve tranquille, loin de là, mais il m’a mené là où j’en suis aujourd’hui, dans cette paix et cette joie.

 

Effondrement / reconstruction

La métaphore de la « reconstruction » appliquée à un psychisme en désarroi tend à faire du psychisme une construction à l’image d’une maison dont un pan de mur se serait écroulé après une catastrophe naturelle. Il est vrai que, dans bien des cas, le psychisme humain se constitue, mais ce, à ses dépens, comme une structure très rigide disposant de peu de marge de manœuvre, dupliquant sans répit les mêmes formules de désirs, d’expressions émotionnelles, de relations... et d’impasses douloureuses.

 

Chaque humain fait au cours de son enfance l’expérience de manques, de carences, de l’inadéquation des adultes à des moments où il aurait besoin d’attention, de soutien et de compréhension. Il peut également faire l’expérience de relations maltraitantes, de traumas du fait de violences, d’abus ou de catastrophes extérieures. Dès la période fœtale il est imprégné des affects de ses parents : il peut ressentir de l’insécurité, du rejet, de la tristesse... qui vont constituer la toile de fond de toute sa vie psychique. A cela s’ajoutent les transmissions transgénérationnelles (les effets des traumas peuvent s’avérer actifs pendant plusieurs générations), les conditionnements culturels qui enferment le sujet dans des postures, des schèmes de compréhension de son environnement et des définitions étroites de lui-même, confortées par les attentes parentales et sociétales à son égard.

 

Le « moi » est censé faire une synthèse de tout ce fatras d’informations actives et contraignantes. Il parvient rarement à produire une synthèse souple et évolutive et aboutit, dans la plupart des cas, à des systèmes rigides de compensation et de narcissisation. Dans ces systèmes rigides, des éléments extérieurs ont pour fonction de boucher des trous, de servir d’étayage dans les zones les plus endommagées et les plus fragiles du psychisme. A titre d’exemple courant, un sujet rejeté dès le début de son existence par ses parents et/ou sa fratrie investira sa vie professionnelle avec intensité et efficacité. Le besoin d’être reconnu, accepté, « aimé » guidera tous ses actes. Un licenciement provoquera un effondrement. Le même cas de figure peut se présenter sous la forme d’une rupture affective. Toute la construction psychique s’avère invalidée. Le sujet se retrouve à nu, en prise avec ses carences premières, ses blessures originaires que plus rien ne vient colmater, masquer, faire oublier.

 

La première réponse classique sera de consommer un antidépresseur, ce qui ne résout rien en profondeur. Une honnête thérapie verbale peut aider à conscientiser les blessures révélées et redonner de la souplesse à un système très rigide. Pour véritablement modifier en profondeur l’économie psychique, il faut pouvoir allier la prise de conscience au soin des inscriptions corporelles des carences premières.

 

L’effondrement met le sujet face à un vide. Ce vide n’est pas un accident, une particularité, une exception. C’est le vide que chaque être humain porte en lui. En deçà des modes de défense et des bricolages du moi, nous ne sommes porteurs que de l’inscription de nos carences, des transmissions parentales et transgénérationnelles, de projections et attentes parentales et sociétales. Nous ne sommes porteurs d’aucune essence singulière, d’aucune vérité ultime de nous-mêmes.

 

Les humains passent leur temps à occulter et à remplir ce vide. Il résonne avec le fait que nous n’avons ni connaissances ni certitudes sur le pourquoi et le sens de la vie en dehors des sens arbitraires et extrêmement variés que chaque culture et chaque humain peut leur donner. Tel est notre destin en tant qu’être humain que de n’avoir aucune réelle compréhension de notre condition. Ce vide et cette absence de sens sont présents et actifs dans l’inconscient, sources d’angoisses profondes et déterminants pour nos actes. Peu d’humains font véritablement face à ce vide. Un accident de vie menant à un effondrement ne permet pas toujours de regarder ce vide tant il reste toujours des éléments à quoi se raccrocher pour ne pas l’affronter. Quelques « sages »  et « ascètes » de toutes obédiences dans différentes cultures et traditions témoignent de leur rencontre volontaire avec ce vide, fruit d’un long cheminement. Mais ce n’est assurément pas le souhait de la plupart des habitants de cette planète recherchant, pour ceux qui ne sont pas dans la survie du fait de leur histoire ou de leur lieu de naissance, l’occultation de ce vide par toujours plus de jouissance et de gratifications narcissiques.

 

A ce vide primordial, s’ajoute un autre déterminant psychique fondamental dont on peut trouver l’expression métaphorique dans de nombreuses traditions mythologiques. Ainsi celle du Jardin d’Eden : la perte d’un paradis dans lequel les humains ignoraient la souffrance, et même parfois la mort, mais restaient infantilisés par leur dépendance vis-à-vis de puissances supérieures bienveillantes qui pourvoyaient à tous leurs besoins. Puis, une évolution vers l’autonomie oblige les humains à pourvoir à leurs besoins à un prix terrible. Des cosmologies nilotiques nous éclairent encore plus explicitement sur l’événement : une corde reliait le monde des humains à la divinité, elle a été coupée. Ainsi, la condition humaine est marquée du sceau de la perte et de la séparation suite à l’expulsion de la matrice qui a nourri et contenu pendant neuf mois les petits humains et à la coupure du cordon ombilical.

 

C’est face à ce vide, cette perte, cette séparation et cette absence de sens que les traditions de « spiritualité » se déploient et offrent des réponses dont certains ressorts présentent bien des surprises.

 

Spiritualité et dimension énergétique

Depuis quelques décennies les propositions de soins « énergétiques » et « d’accès » se sont multipliées sur le grand marché des thérapies et de la « spiritualité ». Le rapprochement de ces deux champs d’expérience, « spiritualité » et « dimension énergétique », m’est apparu nécessaire à la suite de nombreuses observations cliniques de patients engagés dans des pratiques « spirituelles » diverses présentant des corps dévitalisés et encombrés d’informations toxiques.

 

Dans bien des cultures, la spiritualité relève d’un désir « d’accès » à un autre plan de conscience, à une autre réalité que celle dans laquelle nous vivons… Le mouvement corporel et énergétique qui accompagne ce désir est un mouvement vers le haut et vers l’extérieur du corps.

 

Le conditionnement à ce mouvement est profond et se nourrit de plusieurs sources. En premier lieu la dépendance initiale de l’être humain ancre en nous l’habitude d’attendre de l’extérieur solution et réponse à tout besoin, questionnement et désir. Les systèmes éducatifs renforcent ensuite cette expérience de dépendance qui perdure du fait de l’insertion sociale des humains dans des hiérarchies de pouvoir au sein desquelles les décisions et orientations émanent toujours d’échelons supérieurs. Cette organisation verticale vient confirmer l’obligation de cette adresse vers l’extérieur et au dessus de soi.

 

La plupart des systèmes magico-religieux orientent les humains vers l’extérieur en précisant la direction du mouvement vers le haut, au-dessus du corps. Les autres mondes, les autres réalités, les déités doivent être appréhendés vers le haut, au-dessus de nos têtes. Et cela est encore renforcé par les systèmes de pensées qui dévalorisent le corps comme étant le lieu de la souillure, du péché, de la chute… Point de salut en dehors d’un mouvement vers le haut et vers l’extérieur. Cet ethos favorise un désinvestissement du corps, une dévitalisation et un déploiement déséquilibré de la structure énergétique en dehors et au-dessus de corps ; configuration que l’on peut observer même chez des individus indifférents à toute recherche de spiritualité du fait que ce modèle de non-présence au corps a été transmis par les générations passées.

 

Or, le vivant s’est développé avec pour toile de fond la fréquence de la terre (résonance Schumann), stable depuis des millions d’années. Le corps humain, comme tout ce qui est vivant, est porté par cette fréquence qui constitue un diapason pour toutes les fréquences de notre corps. En être coupé, ce qui est malheureusement le cas pour bien des individus, provoque dévitalisation, déficit d’énergie et dysfonctionnement métabolique. Dans ma pratique clinique, je remets systématiquement mes patients en contact avec cette fréquence. La plupart ressentent immédiatement la détente et le calme que cela procure et surtout la sensation de densité sécurisante que produit le fait d’être en contact avec cette fréquence. Mais pour certains, ce contact et ses bienfaits ne durent que quelques secondes. Ils ne parviennent pas a s’y maintenir, tels des ballons gonflés à un gaz plus léger que l’air. Outre que ce modèle de non-présence au corps constitue une norme en Occident, les résistances que l’on peut rencontrer tiennent au fait que l’individu s’est « branché » sur quelque chose d’extérieur qui le tire hors de son corps ce qui affaiblit sa capacité a être dans la matière du corps. Bien souvent, il ne veut ou ne peut lâcher ce lien.

 

Aborder ce que je vais tenter d’exposer pose de nombreux problèmes épistémologiques que j’ai évoqués dans mes deux derniers livres. Pour en reprendre l’essentiel ici, je dois d’abord préciser que si l’on m’avait parlé, lorsque j’ai commencé mes études universitaires, de la nature des perceptions dont je dispose aujourd’hui, j’aurais crié au charlatanisme et au délire. Un long cheminement m’a été nécessaire pour accepter les éprouvés auxquelles ma clinique m’a confrontée. Les conceptualiser demeure une gageure. Toute métaphysique provoquait chez moi la même méfiance que la notion de « spiritualité ». Les explications que me donnaient divers guérisseurs avec qui j’ai travaillé à propos du développement de mes perceptions et des « réalités » rencontrées me laissaient perplexe du fait des croyances qui les sous-tendaient. J’ai tenté d’en rendre compte sans tomber dans ce qui me semblait constituer des biais magico-religieux. Cela ne peut se faire qu’avec des hypothèses et des notions qui relèvent plus de la métaphore que de la description scientifique. Si j’ai été contraint à cette conceptualisation c’est du fait que toute ma clinique, dont il me semblait nécessaire de rendre compte, témoignait du caractère opérant de ces « réalités » dans le corps et le psychisme de chacun d’entre nous. De plus, les résultats thérapeutiques s’avéraient très probants et souvent chez des patients qui avaient consacré plus d’une décennie à tenter de se soigner avec diverses thérapies sans pouvoir constater de changements décisifs.

 

Lorsque l’on quitte l’ancrage à la terre pour tenter d’avoir accès à quoi que ce soit, la première chose que l’on rencontre ce sont « les morts ». Qu’est-ce qu’un mort ? Pour faire simple je dirais qu’il s’agit d’un paquet d’informations laissé par un défunt qui reste consigné dans nos corps et dans des espaces communs à l’humanité. Comme en témoigne le travail de l’anthropologue Gregory Delaplanche, les vivants tentent depuis le début de l’humanité, de ranger les morts à une place déterminée pour qu’ils quittent le monde des vivants. Mais cela ne fonctionne qu’approximativement : bien souvent, les morts débordent et interfèrent avec les vivants1 .

 

Beaucoup de gens sont fascinés par leur propre capacité à entrer en contact avec ces informations. Parfois ils estiment être en contact direct avec des déités, des anges, des forces protectrices… Le résultat est qu’à la dévitalisation liée au processus qui permet le contact, s’ajoutent l’exposition à des informations toxiques qui accentuent la fragilisation somatique, et provoquent fatigue, dépression, déficit du système immunitaire. Une fois incorporés, ces paquets d’informations constituent de véritables trous noirs pour la structure énergétique et le corps, provoquant des désordres psychiques et somatiques.

 

Lorsque l‘on continue à s’aventurer « hors de son corps » en ayant largué les amarres, on rencontre des agglomérats de mémoires collectives. Là encore les problèmes épistémologiques reviennent. J’ai longuement développé et illustré les notions qui vont suivre dans mes deux derniers ouvrages, alors, pour en résumer l’essentiel, disons que les humains créent des dieux qui finissent par constituer des « réalités » énergétiques bien tangibles. En appelant vers l’extérieur, en fabriquant d’énormes institutions que sont les religions et en y déposant toutes les souffrances liées à la misère des vies humaines, on en vient à fabriquer de grands réservoirs d’informations toxiques qui s’agglomèrent pendant des siècles. Le premier agglomérat que l’on rencontre ici en Occident, c’est la mémoire collective de la chrétienté avec tout ce qu’elle porte d’interdit de jouissance corporelle à l’exception de celle du corps meurtri dans les mortifications, de culpabilisation... et bien d’autres notions peu épanouissantes. Les propositions new age ne sont que des portes d’entrées relookées qui donnent directement sur cette masse d’informations auxquelles s’adjoignent quelques agglomérats exotiques issus de traditions magico-religieuses diverses d’importation récente, tout aussi toxiques. De tous les « branchements » que j’ai pu observer chez des patients amateurs de « spiritualité » et de stages new age divers, je n’ai pu constater aucune connexion qui ne soit pas toxique et qui ne s’accompagne pas d’un affaiblissement de la présence au corps. S’il y a quelque chose de transcendant à trouver quelque part, ce n’est assurément pas dans cette direction car on n’y rencontre que des artefacts créés par l’humanité dans une même logique d’aliénation à plus grand que soi.

 

Alors, quels bénéfices à ces accès ? Ceux-ci offrent une réponse directe aux déterminants psychiques fondamentaux : le vide, la perte et la séparation, l’absence de sens. Les connexions aux mémoires collectives procurent un sentiment d’appartenance et de contenance dans une totalité omnipotente qui s’ajuste à notre conditionnement à la dépendance, à s’en remettre à une puissance supérieure qui s’occuperait de nous : un retour à une inclusion primitive fœtale. Sans oublier un gain narcissique non-négligeable : l’individu qui s’y relie éprouve le sentiment d’avoir « accès » à une réalité supérieure, à une « vérité », dont nombre de ses congénères n’ont pas la grâce de disposer. Les dégâts pour le corps sont similaires à ceux que procure le contact avec des informations provenant de défunts, toutefois, les connexions avec ces mémoires collectives provoquent encore plus de dévitalisation.

 

Accès

Les propositions exotiques offertes sur le grand marché des « initiations » et des « spiritualités » ne valent guère mieux. Leurs recettes de fabrication sont identiques : beaucoup d’informations provenant de défunts, de la misère du monde, des mémoires de souffrance… rien de très réjouissant.

 

Mon exposé sera sans doute jugé rabat-joie par bien des êtres aspirants à « l’éveil » ou en quête sincère d’une spiritualité qu’ils souhaitent « authentique ». Je n’ai que ma modeste expérience à relater, que je parviens à partager avec certains patients. Je n’ai rien d’autre à proposer. Plus nous nous allégeons des mémoires qui nous encombrent et plus nous soignons nos blessures, plus notre présence au corps s’intensifie. Nous pouvons alors avoir accès à quelque chose de sans doute moins spectaculaire que ce que promettent certains « accès » : simplement éprouver l’énergie du vivant présente dans chacune de nos cellules.

 

Il m’est arrivé plusieurs fois de proposer à des patients en quête d’accès, une aide pour aller chercher en eux cette énergie de vie, leur soumettant l’hypothèse que si quelque chose d’universel nous transcende, alors peut-être pouvons-nous en sentir la présence à l’intérieur même de nos corps. Les patients qui ont tenté l’expérience témoignent chacun, avec leurs mots, des bienfaits éprouvés : vastitude, paix et surtout joie, une joie liée à l’énergie même du vivant. Être là, dans notre vie, dans nos corps, en deçà de tout ce qui nous agite pour avoir le sentiment d’exister, de survivre, d’avoir de la valeur aux yeux des autres et à nos propres yeux… Chemin difficile, tant nos blessures et nos conditionnements nous figent ; résultat modeste.

 

Post scriptum

J’avais à peine envoyé ce texte à la revue du 3eme millénaire que deux situations cliniques critiques se sont présentées, illustrant mon propos.

 

Une jeune femme, très déprimée et vulnérable, extrêmement réactive émotionnellement, se présente encombrée d’informations provenant de défunts. Je l’informe de la situation. Elle en a conscience : une « magnétiseuse médium » lui avait déjà signalé cet état de fait. Elle a identifié deux proches  : une grand-mère aimante décédée récemment et un amoureux décédé il y a douze ans. La médium a déclaré que ces deux figures veillaient sur elle. Affirmation très classique de la part de ce type de « professionnel ». Hélas non ! Il n’y a rien de bienveillant dans ces « présences »  qui provoquent fuite d’énergie et dépression. Elle accepte mes explications et nous travaillons sur le processus de séparation. Elle ressent immédiatement la différence : le retour d’une énergie vivante dans son corps et d’une tonicité corporelle ; elle se sent immédiatement moins triste et moins « écrasée » selon ses propres termes.

 

Un patient d’une cinquantaine d’années revient d’une expérience de prise d’ayahuasca. Il n’est plus dans son corps. Il se sent flotter. La prise de drogue a provoqué un désinvestissement corporel et il a de ce fait connecté je ne sais quel agrégat collectif qui l’aspire hors de lui et l’épuise. Je parviens difficilement à lui faire réintégrer son corps, mais après quelques minutes de présence, il se sent lui-même de nouveau aspiré hors de son corps. Et je ne sais que faire car ce qu’il a contacté est puissant et je sens que je ne peux me permettre de lutter avec cela sans me mettre en danger d’être moi-même connecté à mes dépends… Un travail sur ses blessures et carences premières permettrait sans doute de couper le contact mais je ne sais si ce sera possible et si cela peut être effectué sans risque pour moi… Et malheureusement depuis quelques années ce type de situation est de plus en plus fréquent...

 

 

 

 

 

 

 

1  La voix des fantômes. Gregory Delaplace.

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